La mémoire humaine déclassée au profit de la mémoire informatique ?

Images mémoire

D’entrée de jeu, il faut dire que je participe allégrement à l’évolution des TI en faisant de la recherche sur la création d’objets d’apprentissage multimédia à caractère mnémotechnique. Ma recherche consiste (entre autres) à trouver un format d’apprentissage en ligne qui tiendrait compte de nos facultés physiologiques de mémorisation. Toutes les 3 secondes*, nos yeux créent un «enregistrement» du champ visuel, et cette sorte d’arrêt sur image mentale différencie le champ visuel général (l’environnement) et les composantes de ce champ (les parties déjà préenregistrées) pour permettre de mieux mémoriser, à court terme, la réalité perçue. Notre cerveau fait régulièrement cette sorte de «topologie préventive» de nos perceptions visuelles pour ensuite isoler et replacer, dans d’autres contextes, les «objets virtuels» dont notre imagination et nos comportements psychologiques ont besoin. Cette faculté sert également à décider, évaluer et sélectionner les composantes pré-enregistrées par nos sens pour transformer notre psyché en une fabuleuse machine à penser.

Aujourd’hui, l’information circule à travers des réseaux supportés par des technologies dont on ne connait pas ou peu la complexité. Nous parlons de réseaux de serveurs (comparables à notre cerveau) capables d’acheminer l’information

dans tous les recoins de la planète à la vitesse de la lumière, à demi-conscients que ces systèmes reposent sur des signaux électromagnétiques émis par des satellites très sophistiqués, mais, somme toute, d’une fragilité évidente. Nous utilisons différentes plateformes comme la télévision, le cellulaire, l’ordinateur portable et d’autres innovations miniaturisées pour nous assurer d’une multitude d’interfaces (à l’égal de nos yeux) complémentaires à notre besoin grandissant d’être continuellement branchés sur une communauté quelconque, afin de communiquer plus rapidement avec notre environnement social.

Est-ce à dire que notre frénésie de posséder une variété d’outils informatiques nous donne une plus grande possibilité de mémoriser cet océan d’informations ? La rapidité avec laquelle nous pouvons avoir accès à une pléiade de textes, photos, vidéos comme à des objets d’apprentissage nous permet-elle d’augmenter sensiblement la qualité de notre faculté de mémorisation ?

Malheureusement, la réponse est non, et même que de plus en plus de gens révèlent leur désarroi – à voix basse, d’un air mi-catastrophé, mi-sarcastique – et leur déficience mnémonique issue d’une paresse chronique associée à une trop grande utilisation des TI. Vous voudriez peut-être me me répondre affirmativement, mais rien ne prouve que la cause d’un manque de mémoire personnelle est directement liée à une surdose d’exposition aux machines informatiques, puisque nos aînés sont frappés de la maladie d’Alzheimer, ceux-là mêmes qui ont vécu en dehors de la vague technologique que nous traversons.

Malgré les doutes sur l’origine de cette perte de mémoire, il faut quand même se poser des questions : maintenant que l’on peut trouver n’importe quelle image ou vidéo sur le Net en moins de 10 secondes, l’effort pour visualiser une problématique complexe est-il plus facile ?

Maintenant que l’on peut calculer sans faire d’erreurs avec une calculette informatique, le calcul mental a-t-il été mis de côté ?

Maintenant que l’on peut naviguer dans un océan d’interfaces sur le Web, qu’est-ce qui retient notre attention : les images, le sujet, l‘interactivité ou la qualité des contenus ?

Maintenant que l’on peut associer le temps qui passe à une horloge numérique où seuls les chiffres font office de référence pour grader la notion temporelle, qui se soucie vraiment que nous sommes régis par plusieurs conjonctions astronomiques formant le cycle des saisons ? La notion temporelle se résumerait-elle à une simple affaire de chiffres sur un cadran ?

Maintenant que l’on peut trouver rapidement la définition de presque tous les mots et noms propres sur Wikipédia, est-ce que la recherche de définitions et de documentation sur le Net diminue notre engouement pour la lecture ? Prenons-nous le temps de consulter un vrai livre ?

Maintenant qu’il y a une multitude de réseaux sociaux dans lesquels nous pouvons nous inscrire, la course aux «contacts» ne développe-t-elle pas des liens très superficiels où la quantité prévaut sur la qualité ? La notion d’amitié deviendra-t-elle associée à une fiche d’inscription dans un dossier personnel classé par communautés d’intérêts ?

Maintenant que nous utilisons tous ces gadgets, machines et outils pédagogiques numérisés, faisons-nous de plus grands efforts pour enrichir nos capacités mnémoniques par des exercices mettant à profit nos différentes facultés de perception et nos capacités intellectuelles ?

Il y aurait encore d’autres questions toutes aussi pertinentes sur notre comportement face au développement de notre mémoire humaine et de notre vie sociale, mais l’important est d’endiguer cette déficience mnémonique au quotidien car elle nuit énormément à la qualité de nos relations autant dans notre travail qu’avec notre famille ou nos amis. La mémoire humaine, celle qui supporte nos réflexions, nos actions, nos introspections et notre imagination subit de grandes transformations. Est-ce temporaire ? Ces transfor- mations vont-elles «modéliser» nos comportements psychologiques ? D’une façon préventive, serait-il bon de faire des exercices pour éviter la disparition de ce fabuleux patrimoine mnémonique ?

La réponse est « oui », et si possible, dès maintenant.

Alors, qu’avez-vous mémorisé dans cet article ? * Jamet et Alain LIEURY, «Nouveaux Médias : une information pensée pour le rappel» Revue science et vie. La performance de la mémoire humaine, septembre 2000

Michel Delage

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